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Transkrire une lange
La question du choix d’un système orthographique.
Éléments pour une réflexion
Michel Fayol Université Blaise Pascal et CNRS
Peu de langues ont eu à s’interroger sur la forme que pourrait prendre leur système orthographique. La plupart d’entre elles ont au fil de l’histoire adopté puis plus ou moins modifié (bricolé serait sans doute un terme plus exact) des systèmes antérieurs élaborés pour d’autres langues ayant des systèmes phonologiques plus ou moins proches et des alphabets déjà plus ou moins bien adaptés. Il s’en est parfois ensuivi des situations associant de manière relativement systématique et simple des configurations sonores à des configurations écrites.
Toutefois, dans certains autres cas, le temps, voire les « bricolages » ont conduit à des situations qui maximisent les difficultés d’apprentissage et d’utilisation. Ainsi en va‐t ‐il du système orthographique anglais, comme l’attestent les données issues des recherches effectuées au cours de trois dernières décennies.
Dans ces conditions, il paraît souhaitable, dans la perspective de concevoir la transcription nouvelle d’une langue, de s’appuyer sur les résultats des études antérieures pour essayer de déterminer quelques‐unes des caractéristiques que pourrait présenter le nouveau système orthographique afin que les difficultés de son apprentissage, celles relatives à son utilisation et les possibilités de transfert à d’autres systèmes se trouvent minimisées de même que l’impact des troubles qui pourraient affecter son usage.
Tel est le sens des informations rapportées dans le texte suivant, texte rédigé à partir des données issues de la perspective psycholinguistique.
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Par Maximum 34 le 10 Février 2014 à 18:06
La lecture : une activité complexe
La lecture constitue en quelque sorte une double tâche en ce qu'elle comporte deux dimensions qui se situent à la fois en complémentarité et en compétition. D'une part, le lecteur doit traiter successivement, en leur consacrant de l'attention, chacune des marques linguistiques. D'autre part, il lui faut, dans le même temps, élaborer une interprétation en s'appuyant sur la signification des mots et des phrases mais aussi en mobilisant ses connaissances préalables du domaine et de la langue. Il lui faut également gérer (quasi) simultanément le déroulement de ces deux dimensions au cours même de la lecture. Or, comme nous l’avons rappelé en introduction, les êtres humains, et cela d'autant plus qu'ils sont jeunes ou novices relativement à un domaine de connaissances, ne peuvent mener à bien et parallèlement qu'un nombre très limité d'activités. La possibilité de conduire en même temps deux activités dépend de leurs coûts respectifs. Lorsqu'une activité est automatisée, sa mobilisation et sa mise en oeuvre sont rapides et peu coûteuses. En revanche, lorsqu'une activité est nouvelle, ou peu usuelle, son coût d'utilisation est élevé du fait qu'elle requiert un contrôle attentionnel. Ceci permet de comprendre un ensemble de phénomènes, relevant aussi bien de l’évolution normale des performances en lecture que des troubles de cette évolution.
Premièrement, les enfants qui sont en phase d'apprentissage du code ou qui éprouvent des difficultés à identifier les mots peuvent très difficilement conduire une activité de compréhension au cours même de la lecture. Leur attention est principalement captée par le traitement des mots et ils ne disposent plus de suffisamment d’attention pour imaginer les situations ou les événements décrits. Le problème de cette population est donc d'articuler deux objectifs difficiles à concilier, au moins initialement : l'apprentissage du traitement du code et le travail relatif à la compréhension. D’où la nécessité de limiter au maximum le coût des traitements associés au code.
Deuxièmement, au fur et à mesure des progrès dans l'apprentissage du code, l' identification des mots déjà rencontrés et le traitement des nouveaux s'accélèrent et se font plus précis. L’attention allouée à ces activités se trouve réduite d'autant et la compréhension peut de mieux en mieux s'exercer parallèlement au traitement des mots. C'est ce qui explique que la (cor)relation entre connaissance lexicale et compréhension lors de la lecture devient de plus en plus forte avec le niveau scolaire, et donc qui justifie l’importance accordée aux connaissances lexicales. Pourtant, il reste difficile pour les enfants de faire simultanément face à des traitements complexes sur le code, par exemple, en raison de la présence de nombreux mots nouveaux, et sur la compréhension, par exemple, lorsque le thème abordé n'est pas familier. Le cumul des deux, fréquent du fait qu'un thème peu connu exige souvent le recours à un lexique spécialisé, met souvent les lecteurs en difficulté, et cela quel que soit leur âge ou leur niveau intellectuel. Là encore, il est important que le coût de traitement du code se trouve limité.
En résumé, le traitement du code écrit et celui de la compréhension constituent des dimensions complémentaires de l’activité de lecture. Dans la dynamique usuelle de cette activité, l’identification des mots, le découpage syntaxique des phrases, la prise en compte des parties du texte vont de pair avec l’intégration des informations et la construction d’une représentation unique intégrée. Le lecteur expert mène conjointement tous ces traitements, sous réserve que leur coût total ne dépasse pas ses capacités d’attention ou de mémoire. Pour qu’il en aille ainsi, les traitements susceptibles d’être automatisés, notamment l’identification des mots, doivent l’être le plus précocement et le plus possible . L’impact de cette automatisation est double. D’une part, elle rend plus sûre et plus rapide l’identification. D’autre part, elle libère l’attention susceptible d’être allouée à d’autres dimensions, notamment l’intégration des informations en vue de la compréhension du texte.
La question du choix d’un système orthographique.
Éléments pour une réflexion
Michel Fayol Université Blaise Pascal et CNRS
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Par Maximum 34 le 10 Février 2014 à 18:07
Traiter rapidement et précisément le code
Les remarques précédentes font ressortir la nécessité d’amener les apprenants à décoder le plus précocement, le plus rapidement et le plus exactement possible, de manière à ce que le coût en attention du traitement du code soit minimisé pour favoriser la focalisation sur l’activité de compréhension. La poursuite de cet objectif implique que l’on détermine ce qui permet de rendre plus efficaces l’apprentissage et l’utilisation d’un code alphabétique.
Les données issues de la recherche des deux dernières décennies fournissent des éléments de réponse.
Premièrement, tout apprentissage d’un système alphabétique exige qu'on découvre en premier lieu le principe alphabétique. Ce principe associe des lettres ou groupes de lettres (= graphèmes : t, an, ien, etc.) à des unités « sonores », les phonèmes (= unités permettant de différencier les mots : « tour » comporte trois phonèmes; le /t/ permet de différencier « tour » de « pour » ; /ou/ de différencier « tour » de « tir » ; /r/ de différencier « tour » de « tous »). Le principe alphabétique est fondamental en ce qu’il permet de lire (ou d’écrire) non seulement les mots déjà connus mais aussi tous les mots nouveaux que l’on rencontre ; on dit qu’il est productif. Il permet aussi d’acquérir la forme orthographique des mots, ce qui conduit à les reconnaître en un coup d’oeil plutôt qu’à les déchiffrer. Plus encore, une fois découvert relativement à un système alphabétique particulier, par exemple le Français, il est immédiatement généralisable à l’ensemble des autres systèmes alphabétiques.
Deuxièmement, un système orthographique idéal du point de vue de la phonographie comporterait exactement le même nombre de lettres et de phonèmes et les relations entre eux seraient biunivoques : à tout phonème (vs graphème) correspondrait un graphème (vs phonème) et un seul. Un tel système serait totalement consistant. Son apprentissage nécessite l’acquisition d’associations simples, de un (phonème) à un (graphème). Peu (voire pas) de systèmes alphabétiques présentent cette propriété mais certains s’en rapprochent fortement, l’Italien ou l’Espagnol par exemple. La plupart des systèmes associent certains phonèmes à plusieurs graphèmes (par ex., en Français, /o/ à o, au , eau) et, réciproquement, certaines graphèmes à plusieurs phonèmes (par exemple, s aux phonèmes /s/ ou /z/). Ces associations de un à plusieurs peuvent concerner un nombre élevé de phonèmes et de graphèmes. Les apprenants doivent donc mémoriser ces associations mais aussi déterminer dans quels cas elles correspondent à tel ou tel phonème ou graphème.
Troisièmement, et consécutivement à ce qui vient d’être décrit, plus le déchiffrage est difficile, notamment en raison des ambiguïtés, et plus l’apprentissage de la lecture est difficile. Le système allemand est plutôt consistant alors que celui de l’Anglais est fortement inconsistant : dans les trois mots suivants : ball, park, land, le graphème a se prononce toujours de la même façon en Allemand alors que sa prononciation varie en Anglais. Les enfants anglais ont un niveau de lecture nettement inférieur à celui des jeunes Allemands, notamment en début d’apprentissage et il leur faut approximativement 4 années pour atteindre le niveau de ces derniers . Les comparaisons conduites en Europe dans 14 systèmes orthographiques, mettent en évidence que plus les relations entre phonèmes et graphèmes se rapprochent de la bi‐univocité et plus l’apprentissage de la lecture est rapide. Une mise en correspondance biunivoque des phonèmes et des lettres pose le problème de la conservation du sens véhiculé par les morphèmes de la langue. Dans toute langue existent des unités associant, à un niveau supérieur à celui des phonèmes ou des graphèmes, des unités de sens à des formes : par exemple chien ou vin , mais aussi –ette ou –eau (diminutifs), in ‐, dys‐, etc. Ces unités se combinent plus ou moins systématiquement entre elles et ces combinaisons modifient parfois la forme de base du morphème. Par exemple, chien devient chenil ; faire donne faisait (prononcé fesait) mais aussi ferait. Le Français, peut‐être en raison du grand nombre de forme homophoniques (compte, conte ; sceau, seau, sot) tend à maintenir la forme orthographique du radical. Le maintien de la prononciation ou bien celui de la forme plus directement associée à la signification est, dans les systèmes traditionnels, le produit de l’histoire. Il n’a pas donné lieu à des décisions réfléchies et dont l’impact aurait été évalué. La situation est bien différente lors qu’un système nouveau est en position d’être créé.
Quatrièmement, chacun sait qu’il existe des troubles de l’apprentissage de l’écrit, notamment la dyslexie. Les données issues des études portant sur les manifestations, d’une part comportementales et d’autre part anatomo‐fonctionnelles cérébrales, de ce trouble en fonction des différents systèmes orthographiques ont mis en évidence que la dyslexie apparaît quel que soit le système alphabétique . Toutefois, ses manifestations sont particulièrement dramatiques dans les systèmes les plus inconsistants. Dans tous les systèmes le déchiffrage est sériel – il se fait lettre à lettre – et lent mais les conséquences en sont « simplement » une lecture ralentie dans les systèmes consistants (espagnol, italien) alors que les difficultés sont plus importantes dans les systèmes comme l’anglais. Il s’ensuit qu’un système se rapprochant de ceux qui présentent une biunivocité des relations phonèmes graphèmes est susceptible de minimiser les difficultés rencontrées par ceux qui sont susceptibles de développer des troubles de l’apprentissage de l’écrit.
Pour conclure , L’objectif du présent texte n’était pas prescriptif : il ne s’agissait pas de donner des directives. Plus modestement, il visait à informer ceux qui effectueront un choix politique des connaissances dont nous disposons relativement aux activités de lecture . Plus particulièrement, nous nous sommes attachés à l’apprentissage et à l’utilisation des systèmes orthographiques en général, avec le souci qu’un nouveau système pourrait être conçu comme particulièrement facile à acquérir et utiliser, de sorte que l’attention de ceux qui l’apprennent puisse se consacrer à d’autres dimensions : la compréhension par exemple ou l’apprentissage des contenus évoqués par les textes. D’autres préoccupations sont susceptibles d’être prises en compte et d’emporter la décision. Il aurait toutefois été dommage que le point de vue de l’utilisateur et de l’apprenant ne fût pas évoqué et défendu. Mais il n’est qu’un point de vue. Michel Fayol ( sa page perso )
La question du choix d’un système orthographique.
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