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La lecture, une activité complexe (part 1)
La lecture : une activité complexe
La lecture constitue en quelque sorte une double tâche en ce qu'elle comporte deux dimensions qui se situent à la fois en complémentarité et en compétition. D'une part, le lecteur doit traiter successivement, en leur consacrant de l'attention, chacune des marques linguistiques. D'autre part, il lui faut, dans le même temps, élaborer une interprétation en s'appuyant sur la signification des mots et des phrases mais aussi en mobilisant ses connaissances préalables du domaine et de la langue. Il lui faut également gérer (quasi) simultanément le déroulement de ces deux dimensions au cours même de la lecture. Or, comme nous l’avons rappelé en introduction, les êtres humains, et cela d'autant plus qu'ils sont jeunes ou novices relativement à un domaine de connaissances, ne peuvent mener à bien et parallèlement qu'un nombre très limité d'activités. La possibilité de conduire en même temps deux activités dépend de leurs coûts respectifs. Lorsqu'une activité est automatisée, sa mobilisation et sa mise en oeuvre sont rapides et peu coûteuses. En revanche, lorsqu'une activité est nouvelle, ou peu usuelle, son coût d'utilisation est élevé du fait qu'elle requiert un contrôle attentionnel. Ceci permet de comprendre un ensemble de phénomènes, relevant aussi bien de l’évolution normale des performances en lecture que des troubles de cette évolution.
Premièrement, les enfants qui sont en phase d'apprentissage du code ou qui éprouvent des difficultés à identifier les mots peuvent très difficilement conduire une activité de compréhension au cours même de la lecture. Leur attention est principalement captée par le traitement des mots et ils ne disposent plus de suffisamment d’attention pour imaginer les situations ou les événements décrits. Le problème de cette population est donc d'articuler deux objectifs difficiles à concilier, au moins initialement : l'apprentissage du traitement du code et le travail relatif à la compréhension. D’où la nécessité de limiter au maximum le coût des traitements associés au code.
Deuxièmement, au fur et à mesure des progrès dans l'apprentissage du code, l' identification des mots déjà rencontrés et le traitement des nouveaux s'accélèrent et se font plus précis. L’attention allouée à ces activités se trouve réduite d'autant et la compréhension peut de mieux en mieux s'exercer parallèlement au traitement des mots. C'est ce qui explique que la (cor)relation entre connaissance lexicale et compréhension lors de la lecture devient de plus en plus forte avec le niveau scolaire, et donc qui justifie l’importance accordée aux connaissances lexicales. Pourtant, il reste difficile pour les enfants de faire simultanément face à des traitements complexes sur le code, par exemple, en raison de la présence de nombreux mots nouveaux, et sur la compréhension, par exemple, lorsque le thème abordé n'est pas familier. Le cumul des deux, fréquent du fait qu'un thème peu connu exige souvent le recours à un lexique spécialisé, met souvent les lecteurs en difficulté, et cela quel que soit leur âge ou leur niveau intellectuel. Là encore, il est important que le coût de traitement du code se trouve limité.
En résumé, le traitement du code écrit et celui de la compréhension constituent des dimensions complémentaires de l’activité de lecture. Dans la dynamique usuelle de cette activité, l’identification des mots, le découpage syntaxique des phrases, la prise en compte des parties du texte vont de pair avec l’intégration des informations et la construction d’une représentation unique intégrée. Le lecteur expert mène conjointement tous ces traitements, sous réserve que leur coût total ne dépasse pas ses capacités d’attention ou de mémoire. Pour qu’il en aille ainsi, les traitements susceptibles d’être automatisés, notamment l’identification des mots, doivent l’être le plus précocement et le plus possible . L’impact de cette automatisation est double. D’une part, elle rend plus sûre et plus rapide l’identification. D’autre part, elle libère l’attention susceptible d’être allouée à d’autres dimensions, notamment l’intégration des informations en vue de la compréhension du texte.
La question du choix d’un système orthographique.
Éléments pour une réflexion
Michel Fayol Université Blaise Pascal et CNRS
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